Lis mes ratures...

Lis mes ratures...

Souillure

« Oh d’une femme pure on peut faire tout ce qu’on veut si elle aime nous autres les femmes nous n’avons pas de vraie morale s’il veut que je fasse des choses défendues je ne sais pas lesquelles d’ailleurs que je sois infernale eh bien je sais que je les ferai. » (Belle du Seigneur, Albert Cohen)

Oui, d’une femme qui aime, on fait tout ce qu’on veut. Parce qu’une femme qui aime (même si ce n’est que le temps d’une étreinte) donne, se donne. Est-elle détestable d’avoir donné ? Salie, bafouée ? Et une femme qui se donne et se donne et se donne et se donne et se donne est-elle une femme gâtée, gâchée ?

Je m’étonne de ces pensées archaïques qui survivent dans un coin de nos têtes (même de la mienne, oui oui)…

Pamphlet contre la souillure. Et aux chiottes, la pureté, la bien-pensance et les clichés.

 

Itinéraire d’une SALOPE.

 

Mes premiers émois

Mes premiers émois viennent des mots. J’ai découvert ce que signifiait « faire l’amour » aux détours des pages des Enfants de la Terre de Jean M. Auel bien avant de me heurter au corps d’un homme. Avant ça, j'ai 10 ans et je feuillette Vers chez les blancs de Philippe Djian, plus trash, plus cru, plus cul, je comprends à peu près les tenants et les aboutissants, ça me fait un peu peur mais ça semble plutôt cool.

Une des lectures qui m’a le plus bouleversée (récemment) est celle d’un extrait de Comme le temps passe de Robert Brasillach : deux jeunes amoureux qui s’apprivoisent. L’écho résonne, je me souviens. Je n’ai jamais oublié d’ailleurs. Je me retiens de pleurnicher, dans le même temps mon corps s’éveille et j’ai envie de... Je me rappelle sa peau le goût, la mienne son poids, nos épidermes et la nuit pute qui s’alanguit.

J’en ai connu d’autres, qui m’ont blessée. Le corps et la tête. J’ai appris à la relever, haut quand je marche.

Pourquoi...

Mai 68. Libération sexuelle. Égalité homme-femme. Épanouissement. Tolérance. Respect mutuel.

 

Paroles paroles paroles...

 

Ré-PUTE-ation

Pourquoi ?

Ce sont des mots. De jolis mots.

Et je ne peux m’empêcher d’insulter cette fille facile. Et je dois lutter pour ne pas me voir impure et salie, faire taire les voix alentours et en-dedans. J’ai 16 ans, et une réputation. Une ré-PUTE-ation. Je fais celle qui n’entend pas, mais j’entends, oh oui j’entends, et j’encaisse.

Quel étrange paradoxe que ces femmes (et ces hommes ?) détruites par la fusion des corps. Dans une chanson que j’écoute parfois quand je fais du sport, et qui me fait pleurer parce que quand je fais du sport je sais pas pourquoi je suis super émotive, le type dit : « Quel autre animal peut faire l’amour avec la haine ? »

Je crois qu’on est les seuls à faire l’amour. Et par conséquent, les seuls à le faire mal.

J’ai 16 ans, une réputation. Je suis accablée par le poids de préjugés séculaires. La pureté de la femme, le sang de la virginité qui tache les draps blancs d’une nuit de noces, le désir réfréné, la culpabilité larvée.

J’ai été une salope. Entre les mains d’hommes qui m’ont salie tour à tour et sur lesquels, de plus en plus sale pourtant, je n’ai pas laissé une seule petite trace de mon infamie. Par une réaction bizarre (qui doit être une application machiste de « rien ne se perd, tout se transforme »), ceux qui m’ont salie en ont retiré un certain prestige. De la fierté. De celle qu’éprouve le chasseur qui dégomme un gros lion. Ma tête n’est épinglée au-dessus d’aucune cheminée mais je n’ai pas non plus eu droit au respect du chasseur pour la proie à laquelle il vient d’ôter la vie. Après tout, on a seulement prétendu m’ôter ma dignité, changer ma nature : de femme en devenir à fille facile, de mauvaise vie. Salope.

 

La maman et la putain : sois polyvalente, ma fille !

La maman ou la putain... La maman et la putain. Je suis désemparée face à cette injonction paradoxale.

Assumer ses désirs et se laisser aller à papillonner de-ci de-là ? Pas bien. Salope.

Quoi, ta position préférée c’est le missionnaire ? Quoi, tu n’as jamais essayé l’amour à trois la sodomie le face-fucking la position de la péniche turque à deux mâts ? Coincée du cul.  Adepte du « sexe vanille », comme on dit. Comment espères-tu garder ton homme ?

Difficile, de trouver le juste milieu, maman le jour, salope la nuit. Repos jamais. Spontanéité zéro, quand le principe de base est la performance.

 

Sois PERFORMANTE. Mais respectable.

 

Et les hommes, dans tout ça ? Certains consomment. Certains profitent de la « libération sexuelle » qui a rendu les filles plus accessibles. Et, plutôt que le respect mutuel, c’est le mépris qui s’installe. Des Don Juan, qui baisent des salopes, se casent avec des filles respectables, les trompent avec des filles « libérées » et donc ne méritant aucune considération. Des filles qu’on peut malmener, avilir par le sexe.

 

La bonne vieille souillure

« Si la beauté, dont l’achèvement rejette l’animalité, est passionnément désirée, c’est qu’en elle la possession introduit la souillure animale. Elle est désirée pour la salir. Non pour elle-même mais pour la joie goûtée dans la certitude de la profaner. » (Georges Bataille)

Certains hommes pensent qu’ils souillent, dégradent, profanent, avilissent, déshonorent, dépravent, polluent. Ils laissent leur marque, au creux des reins. Les yeux jaugent et soupèsent. La bouche crapahute. Le sexe fourrage et conquiert ce qui ne leur appartiendra jamais qu’en ces minutes fugaces.

Je ne comprends pas…

 

Est-ce que je perds de ma valeur chaque fois qu’un homme me passe dessus ?
Ne suis-je que cela, des seins, un cul, un con ?
Un corps jetable, une fille kleenex ?

 

Tu sais, je parle. Je sais lire et écrire. Je pense aussi. Je fais des études pour devenir médecin ou institutrice. Plus tard je veux faire le tour du monde ou avoir trois enfants. J’aime les chiens ou je joue du piano. Je suis tellement plus que ce pantin désarticulé que tu maltraites.

Je voudrais comprendre…

Messieurs, expliquez-moi… Votre sexe est-il si ignoble qu’il gangrène tout ce qu’il effleure ? Messieurs, votre bite est-elle si étanche que vous ne craignez pas, en vous vautrant dans ces océans de cyprine maintes fois souillés par d’autres queues, d’être infectés ?

Paradoxale, cette attirance. Bizarre, ce désir de fourrer un corps gâté. Étonnant, le pouvoir conféré à ces quinze centimètres de chair dure.

Je suis crue. Je suis grognonne.

« Me maquer avec elle ? Jamais, c’est une salope. Je veux une fille qui se respecte. »

C’est quoi, une « fille qui se respecte » ? Une fille qui s’interdit d’avoir envie. Parce qu’une fille, ça peut, éventuellement, se laisser convaincre. Et encore, une fille, des fois, ça a la migraine.

Et c’est quoi, une fille qui s’interdit d’avoir envie ? Une fille prisonnière de normes pluri-centenaires qui associent respectabilité et libido de panda. Une fille qui aura du mal à jouir, parce qu’elle aura honte. Une fille avec qui vous briderez vos fantasmes, à moins qu’elle ne s’y prête pour vous faire plaisir (le devoir conjugal, et puis parce qu’être coincée n’est pas dans l’air du temps).

Une fille que vous tromperez avec une salope, parce que les normes pluri-centenaires – ça tombe mal – associent virilité et puissance sexuelle, zut de crotte.

Avoir une salope dans son répertoire, très pratique ça : une partie de jambes en l’air perpétuellement à portée de zigounette.

 

La salope c'est ta femme ta fille ta sœur, mon salaud

Vous a-t-il traversé l’esprit que la salope a, aussi, des besoins d’ordre physique ? Vous a-t-il traversé l’esprit que les femmes (oui, même votre petite sœur votre maman votre nièce) peuvent avoir… envie de sexe ?

Une femme qui s’abandonne dans vos bras n’est pas par définition une dépravée qui ne mérite que votre mépris et la souillure de votre queue.

Et d’ailleurs, un sexe, masculin ou féminin, n’a pas le pouvoir de souiller.

 

Un pénis n’est pas une arme. Une queue n’est pas une baguette phallique qui abracadabra peut jeter l’opprobre et décider de qui mérite d’être estimé.

  

J’aime faire l’amour. Je le clame, je l’assume. Je ne me sens pas sale, après. La culpabilité m’a désertée. Je ne me sens plus sale. Agréablement léthargique, ou frustrée parfois. Jamais salie. De même que jamais il ne me vient l’envie de te dégrader. Au contraire, j’espère t’avoir fait du bien. Et ni ton plaisir ni mon plaisir ne sont honteux, mon salaud.

 

Concession érotique

« L’essence de l’érotisme est la souillure », dit encore Georges Bataille.

Bon, être souillée au sens strict, je veux bien. Après tout, c’est vrai que c’est un peu cracra et gluant toute cette histoire. Littéralement salie, oui… Ta salope pour une heure, OK. Mais c’est bien tout.

Je suis idiote. Naïve. Dans mon souvenir, je fais l’amour avec lui parce que j’ai envie, tout simplement. Sans préambule et sans suite. Dans mon souvenir c’est intense, c’est à la fois basique et beau, pulsionnel et romancé. Partagé. On écrivait l’instant présent. Et après… Les draps sont froissés, peut-être. Nos corps mélangés gardent les traces de l’autre peau. On parle un peu, on rit, nos chemins auraient pu se séparer là, on tombe amoureux parce qu’on a de la chance. J’ai fait l’amour. J’ai le droit. Mon corps est comblé, je le vis bien merci.

 

Je suis vivante.

Poscript'homme

Toi, lecteur pourvu d’une baguette phallique. Sache, tout de même, que tu as un pouvoir magique. Tu peux faire pipi/avoir du plaisir/donner du plaisir/faire un bébé. Si si, c’est magique.

Toi, lecteur pourvu d’une queue/bite/zigounette, sache que je n’ai rien contre toi. Bien au contraire. Je le dis et je le répète, j’aime les garçons. Et les femmes aiment les hommes. Les Don Juan à la quéquette souilleuse ne sont qu’une minorité. Ceci étant, les clichés tels que séducteur VS salope, la maman VS la putain, existent encore dans un coin de ta tête. Et de la mienne, aussi, si je suis tout à fait honnête. C’est là, larvé. Réfléchis. Tu vois de quoi je parle ? Bien. C’est parfait. Maintenant, gratouille, creuse, cherche le pourquoi du comment, et réalise l’infondé.

! Article également publié sur www.imnotbitch.com



26/09/2014
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