Lis mes ratures...

Lis mes ratures...

Sexe vanille et performance

“Le sexe vanille désigne ce qu'une culture considère comme le comportement sexuel conventionnel.”

Philosophie dans mon boudoir

Avec A., on discute de nos petites histoires du dessous de la couette. Des siennes, surtout. Elle me raconte son nouveau mec, (beaucoup trop) beau, parfait des cheveux aux orteils... Et qui lui a dit, après leur premier tagada-tsoin-tsoin, qu’elle n’était pas très douée pour le sexe oral. Comme ça, de but en blanc, alors qu’ils sont nus l’un contre l’autre pour la première fois, qu’ils se connaissent si peu, qu’ils ont encore tant à apprendre l’un sur l’autre (ah, ah, ah). Passons. Les handicapés de la communication dépourvus du moindre tact, ça existe. Passons.

 

Avec A., on continue à discuter. Je sens bien que, l’air de rien, elle a été blessée par cette remarque. J’essaye d’en savoir un peu plus, pour la “conseiller”. Et, stupeur ! Elle n’aime pas particulièrement sucer. Elle n’aime pas sucer, mais elle le fait quand même, qui plus est lors d’un premier rapport sexuel avec un presque inconnu. Parce que, “il faut le faire” (sic).

 

Quelques jours plus tard, j’aborde le sujet avec B. Elle non plus n’apprécie pas particulièrement de faire une fellation à un garçon qu’elle connaît à peine, mais s’y plie parce qu’il faut bien qu’“il y trouve son compte”. Stupeur, bis.

 

Depuis quand le sexe oral est-il devenu un passage obligé du rapport sexuel ? Je n’étais pas au courant. On a oublié de me prévenir ! C’est inscrit quelque part ? Gravé dans le marbre ? Je ne crois pas. En revanche, c’est bien ancré dans les esprits. Terrible, avec A. et B., j’ai l’impression de parler cuisine : “Non, mais attends, si tu ne fais pas tremper la viande dans le vin au moins douze heures, ton bourguignon, il sera pas aussi bon que celui de ma Mamie.” Ou bricolage : “Si t’utilises pas un niveau pour poser ton étagère, elle sera pas droite, et tout va se casser la gueule.”

 

Comme s’il existait un
“Mode d’emploi pour une partie de jambes en l’air réussie”.

 

Une page d’histoire

C’est amusant, quand on sait qu’historiquement parlant, religieusement considérée, au moins chez les catholiques, la fellation – et le cunnilingus (oh scandale ! Mon ordinateur connaît le mot “fellation” mais pas le mot “cunnilingus”, c’est une conspiration ?) – est bannie des rapports sexuels à visée reproductive des bons pratiquants. Dans le Livre des Proverbes, on peut lire :

“Il y a trois choses qui sont au-dessus de ma portée,
Même quatre que je ne puis comprendre :
La trace de l’aigle dans les cieux,
La trace du serpent sur le rocher,
La trace du navire au milieu de la mer,
Et la trace de l’homme chez la jeune femme.
Telle est la voie de la femme adultère :
Elle mange, et s’essuie la bouche,
Puis elle dit : Je n’ai point fait de mal.”

Et, dans le Cantique des Cantiques :

“Tel qu’est un pommier fécond entre les arbres stériles des forêts, tel est mon bien-aimé entre les enfants des hommes. Ainsi je me suis reposée sous l’ombre de celui que j’avais tant désiré ; et j’ai goûté de son fruit, qui a été plus doux à ma bouche que le miel le plus délicieux.”

Voilà.

 

Aux États-Unis, il existe toujours des sodomy statutes dans certains états, qui interdisent la fellation, par ailleurs encore prohibée dans de nombreux pays à travers le monde. Autrement dit, ce que A. et B. considèrent comme un passage obligé n’a pas toujours été un must. Ce qui est aujourd’hui l’apanage de l’amante parfaite était hier le domaine réservé de la prostituée (le truc constant, dans l’histoire, c’est le plaisir pris par les Messieurs à la chose).

 

Plus jeune, je me souviens m’être sentie “nulle” parce que je n’osais pas, et m’en voulais de ne pas oser. J’associais la fellation à une pratique dégradante, qui ferait de moi une “salope”, et dans le même temps j’avais le sentiment que je ne pouvais pas prétendre être un “bon coup” si je ne mettais pas le zizi du Monsieur dans ma bouche. Le DILEMME.

 

Notre bizarre époque

C’est dans cette oscillation perpétuelle entre la salope et le bon coup que se cache le nœud (décidément) du problème. “Salope”, l’infamie plane encore au-dessus de nos têtes, mais – et ça se complique – elle est désormais combinée avec une tare nouvelle : “coincée”. Il faudrait n’être ni salope (persistance archaïque d’une conception angélique de la femme pure) ni coincée (impératif nouveau du culte de la performance). Franchement, l’équilibre est compliqué, et ne laisse nulle place à la spontanéité et à l’envie.

 

Lorsque Monsieur Parfait dit à A. qu’elle n’est pas douée pour le sexe oral, c’est sa performance qu’il évalue.

 

Il s’agit de performance. Horrible, le libéralisme s’introduit sous nos draps et nous demande d’être compétitives, efficaces, réactives, dans l’air du temps, productives... D’ailleurs, je devrais dire “compétitifs”, “réactifs”, “efficaces” et “productifs”, car les hommes ne sont pas épargnés par l’impératif du résultat (il faut que ça dure que la partenaire jouisse enchaîner au moins cinq positions ne pas grimacer en éjaculant).

 

Pour correspondre au nouveau modèle de l’amante parfaite, A. et B. écrivent “fellation” sur le CV-Q, comme j’écris “Anglais courant” ou “Maîtrise du pack Office” sur mon CV pro. Au panthéon des compétences particulières nécessaires à la baiseuse patentée, on trouve aussi la sodomie, les positions rocambolesques, l’usage de sextoys... Tout plein de choses très cool, si tant est qu’on en ait ENVIE. C’est ça, la clé. Et, si nos amoureuses des temps modernes concèdent la fellation mais, non, vraiment, la sodomie, elles ne peuvent pas, elles se sentent coupables.

 

C’est dommage. L’idée était bonne. Encourager la libération sexuelle. Non, la levrette n’est pas antiféministe. Non, la fellation n’est pas une pratique de salope. Mais, comme bien souvent, sous prétexte de changer les choses, on finit par imposer de nouvelles normes... Tout en disant qu’il n’y a, en matière de sexualité, pas de normalité. Preuve en est, l’invention de l’expression “sexe vanille” pour désigner une sexualité “conventionnelle” (je ne trouve pas d’autre mot), dont la connotation est péjorative : faire du sexe vanille, c’est un peu honteux, c’est être un peu en retard, désuet, démodé.

 

Le sexe vanille ? OH OUI !

Et bien, non. Le sexe vanille, c’est cool. Le missionnaire, c’est cool. La fellation les sextoys la levrette la sodomie tout ce que vous voulez sauf trucider un chaton, c’est cool, si vous en avez envie.

 

Le seul critère est votre épanouissement, le seul impératif est le plaisir, partagé, et ça demande du temps parfois, de la complicité toujours.

 

La performance fait du sexe un acte mécanique, désincarné, qui emprisonne plutôt qu’il ne libère.

 

Adeptes du sexe vanille, amateurs du fist-fucking, on s’en fout.

 

Ayez envie, c’est tout.

! Article à lire sur www.imnotbitch.com



26/09/2014
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 6 autres membres