Lis mes ratures...

Lis mes ratures...

Églantine et le loup

Les feuilles mortes craquent sous les chaussures de sport d’Églantine. Elle ne les entend pas. Dans ses oreilles résonnent son souffle court et son cœur énervé. Elle aimerait continuer, mais ses jambes sont pesantes et elle sent monter entre ses côtes la sensation désagréablement familière. Éreintée, le flan troué, sa vision voilée par la sueur salée qui déborde ses sourcils. Elle bataille encore un peu. Ses poumons la brûlent et dans sa gorge se répand un goût métallique, le goût de l’effort limite. Églantine s’arrête de courir. Elle résiste à l’envie de s’allonger, il paraît qu’on risque de désamorcer son cœur en faisant ça. Fâcheux. Elle marche. Ses joues sont d’un rouge vif, et ça la chauffe sérieusement maintenant que plus aucune brise ne vient les éventer. La lèvre inférieure d’Églantine s’avance et, la contractant d’une façon étrange, elle essaye de souffler sur ses pommettes. Évidemment ça ne fonctionne pas. L’homme, de l’autre côté du chemin, qu’elle n’a pas vu mais qui la regarde avec perplexité, s’étonne de cette mimique simiesque. Il doit avoir une quarantaine d’années, à en juger par sa peau pas ridée encore mais comme un peu plus lourde, son visage un peu plus creux. Il porte des chaussures de marche, un sac remonté haut sur le dos, une gourde à la ceinture. Et des yeux verts. Des yeux verts qui happent Églantine. Elle voit le vert avant de voir le reste. La bouche, plus bas, dit quelque chose comme “Bonjour”. Au-dessus, les yeux verts racontent tout autre chose. Églantine s’étonne chaque fois de ce pouvoir qu’ont les yeux. Il lui semble que les yeux reflètent l’âme. Elle ne croit pas en Dieu, mais elle a déjà vu les yeux vides d’un mort. Et les yeux pleins des vivants : de dédain, de colère, de gourmandise, de désir... De toutes les passions qui animent les hommes. Les yeux ne mentent pas, et d’ailleurs quand on cherche à mentir le regard se détourne. Les paroles sont policées, mais les prunelles mènent leur vie : dans la rue, contre le gré de celui qui les porte parfois et leur rappelle trop tard la bienséance, elles s’attardent sur les hanches d’Églantine et le délié de ses jambes. L’homme trimballe ses yeux, collabore avec eux pour jouer la tristesse l’intelligence la séduction, ou se bat contre les pupilles insoumises qui trahissent sans scrupule les pensées fulgurantes qu’il voudrait taire, un très court instant. Ce vert lui parle de bestialité. Églantine continue de marcher. Elle ne sait plus très bien si elle a répondu au salut de l’homme. Elle s’imagine qu’énervé par son impolitesse, il pourrait la suivre et... Contre cet arbre, là. Ou à même le sol, dans l’humus odorant. Elle croit entendre une branche craquer, se retourne, constate presque déçue qu’elle est seule. Églantine a les jambes coupées. C’est toujours pareil, quand elle s’arrête en pleine course, impossible de repartir ensuite. Elle s’assoit, le dos contre un tronc rugueux. Elle a moins chaud, sur son corps la pellicule de transpiration forme un film frais. Elle ferme les yeux, s’abandonne à une douce torpeur. Elle sourit, parce que cet état lui rappelle la mollesse qui succède à l’amour. Elle ne tarde pas à somnoler, et ses pensées confuses la baladent d’un souvenir à l’autre. Elle aime la forêt, elle se ballade en forêt depuis qu’elle est toute petite, avec son cousin elle ramasse des marrons, joue à cache-cache, construit une cabane... C’est aussi avec son cousin qu’elle commence à courir dans les bois, virées sportives entrecoupées de pauses coupables : cachés dans un taillis touffu et creux, il lui montre son sexe, raide, guide sa main pour qu’elle le caresse, en haut, en bas, en haut. Églantine rougit. Il est marié désormais. Aux réunions de famille, leurs regards se cherchent et s’évitent. Leurs yeux sont traîtres, ils le savent. Son cousin a les yeux... Non, pas verts, marrons peut-être. David en revanche a les yeux verts. David. Il y a “avide” dans David songe-t-elle. Le jeu de mots l’amuse, elle qui connaît David trouve qu’il sonne juste. David était avide d’Églantine. David est un copain de fac. Des cheveux sombres et un grand corps sec, les épaules larges.

 

***

 

C’est l’été dernier, Églantine, David et les autres sont partis camper. Le soir on chante, on se raconte des histoires qui font peur, des trucs salaces, on rigole, on est jeunes. David veut Églantine. Il le sait depuis qu’il a aperçu les fossettes sur ses reins. Elle est en short, elle se penche, une bande de peau, le bas du dos, les fesses presque, et ces deux petits creux de part et d’autre de la colonne vertébrale, et d’un seul coup une vision : David voit ses pouces, posés dans ces creux, le reste de ses doigts cramponné aux hanches, nues, pour leur imprimer la cadence, les fesses d’Églantine contre son ventre... Il la veut. Églantine a vingt ans et des désirs pudiques. David lui plaît, parce que David est beau tout simplement. Elle imagine son corps, mélangeant au gré de ses rêveries les corps qu’elle a connus. La nuit tombe, David propose à Églantine d’aller faire un tour. Il a dans le regard cette brume qui intrigue Églantine. Elle hésite, il lui prend la main comme pour lui dire qu’elle n’a pas vraiment le choix. Ils marchent un peu au hasard et tombent sur la route. La bande de goudron lisse, fraîchement refaite, pareille à une blessure, sépare les arbres qui tendent leurs branches, de chaque côté, semblent s’appeler, et sur le sol la lumière de la lune projette les ombres de leurs feuillages, les reflets gris se touchent, la nuit répare la forêt. David précède Églantine. Des phares surgissent et trouent l’obscurité, Églantine poussée par un réflexe d’animal sauvage se jette sur le bas-côté, glisse sur l’herbe mouillée, tombe, roule. Allongée, elle rigole de cette impulsion stupide. David la rejoint, pose sur elle un regard interrogateur.

 

“Je ne sais pas ce qui m’a... Enfin, pourquoi j’ai fait ça.
- Tu ne t’es pas fait mal ?

- Non, je ne crois pas. Si, un peu au genou peut-être. Ça me pique.”

 

David se penche sur la blessure.

 

“Tu devrais survivre. (Il sourit, son sourire découvre ses dents, blanches dans le noir, et Églantine se dit que ce sourire a quelque chose de carnassier.) Tu as une sacrée détente.
- Je me suis sentie en danger d’un seul coup, dit-elle comme pour s’excuser.
- En danger, vraiment ?
- J’ai pas réfléchi... Oui, en danger (Elle fait une pause pensive.) Peut-être que je me sens un peu traquée. Avec ta façon de m’emmener me promener comme si j’avais pas le choix, et avec ton sourire plein de dents quand tu me regardes...
- Mon sourire plein de dents ?
- Tu vois très bien ce que je veux dire.”

 

La main de David repose sur le genou éraflé d’Églantine, chaud contre sa paume. D’un doigt, il enlève la terre qui salit la peau zébrée de rouge. Puis remonte le long de la cuisse, sur la face interne de la jambe, jusqu’à la couture du short. Elle n’ose ni bouger ni protester, confuse. Elle éprouve de la gêne face à ce doigt impudique, mais le supplie intérieurement de continuer son périple, plus loin, plus haut, pour caresser... Elle attend, David la regarde attendre.

 

“Continue, murmure Églantine, la seconde d’après surprise par sa propre audace.
- Que je continue... quoi ? interroge David, l’air faussement niais.
- Benh, ça, tu sais bien...
- Non, dis-moi, qu’est-ce que tu veux que je fasse ?”

 

Elle secoue la tête négativement. David recule son doigt, et Églantine grogne, sans y penser avance son bassin vers la main qui la quitte.

 

“Je veux que tu me caresses en bas, enfin...
- Mademoiselle, il va falloir être plus précise.
- Je ne peux pas...
- Pourquoi, tu as honte ? Ça te gêne ?
- Un peu, oui.”

 

David se penche sur Églantine, approche sa bouche de la sienne, tout près, sans la toucher, pose son front contre le sien et, par une douce pression, l’invite à s’allonger. Enfin, il effleure ses lèvres, un baiser tendre, puis plus profond, précis, exigeant. Églantine, enhardie, le dévore, le menton, le nez, les tempes, les yeux, le cou, l’oreille. Ses mains qu’elle a posées de chaque côté de la mâchoire appellent un contact plus intense encore, auquel David répond : il passe une jambe entre les siennes, écrase son corps, la recouvre toute, contre sa cuisse son sexe dur. Elle fait courir ses doigts sur les épaules larges, le long du dos jusqu’aux hanches étroites. Le contraste entre sa chair souple et pleine de jeune femme, et celle de David – sèche, noueuse presque, les muscles nerveux semblant n’avoir d'autre but que d’habiller les os – la ravit, elle est offerte, clouée au sol par cette force animale qu’il lui suffit de sentir pour abandonner toute idée de résistance. David s’appuie sur ses avant-bras et la prive de son poids. Non, reste, reviens, reste, reste...

 

“Alors, c’est moi qui vais te dire ce que je vais te faire... Je vais te caresser par-dessus ton short, avec la paume de ma main, à plat, comme ça. Je vais t’enlever ton haut, et m’occuper de tes seins, je sais que tu ne portes rien dessous. Je vais les sucer, les mordiller, les tordre un peu. Puis je descendrai le long de ton ventre, jusqu’à ton short que tu vas me supplier d’enlever, et je vais l’enlever, et en dessous ta culotte sera déjà toute mouillée. Et je vais te respirer, m’emplir de l’odeur de ta petite chatte, je vais retarder le moment de la découvrir parce que j’aime bien l’imaginer, je vais te caresser avec ma bouche, insinuer ma langue sous le tissu, et mes doigts, jusqu’à ce que tu n’en puisses plus.”

 

Églantine se liquéfie sous les doigts de David, la langue de David, le sexe de David qu’elle a libéré tant bien que mal et qui la torture, juste à l’entrée de son ventre, faisant mine de la pénétrer, puis non, le gland remonte jusqu’à son clitoris, redescend, remonte, encore. Le bruit de l’emballage du préservatif déchiré la fait pleurer d’impatience, elle trépigne, se tord, enfin il est là, entre ses jambes, il la fait basculer sur lui et l’assoit sur sa queue dressée, elle s’étonne de l’accueillir toute, la regarde sortir, entrer, plus pudique soudain, toute à sa fureur d’être remplie. Remplie.

 

 ***

 

Un bruit tire Églantine de son demi-sommeil. Face à elle, le promeneur au regard vert, circonspect devant cette fille adossée à un arbre, les joues toujours rouges, le souffle toujours court, les jambes agitées de soubresauts et les yeux voilés des gens qui sont ailleurs.

 

! Texte à lire sur www.imnotbitch.com



26/09/2014
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